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Avoirs dans le voyage : pourquoi l’Europe retoque la France

Pourquoi et quelles sont les conséquences de la mise en demeure de la France par Bruxelles ? Le décryptage d’Emmanuelle Llop, avocate au sein du cabinet Equinoxe Avocats.

Pour la Commission européenne, aucun avoir ne peut être imposé au client, que ce soit pour un vol sec ou un forfait. C’est la raison pour laquelle Bruxelles vient d’envoyer une lettre de mise en demeure à la France et à d’autres pays de l’Union européenne (UE), au motif que leurs règles nationales enfreignent le droit communautaire relatif aux droits des voyageurs. Un courrier qui n’étonne pas outre mesure Emmanuelle Llop. Du moins, au regard du droit, selon l’avocate du cabinet Equinoxe Avocats.

« Selon la hiérarchie des normes, une directive européenne transposée par une loi nationale -ou un règlement européen à valeur de loi- prime sur une ordonnance française, qui est un acte réglementaire sans valeur législative tant qu’une loi de ratification ne l’a pas entérinée (article 38 de la Constitution française). Le 13 mai 2020, un projet de loi de ratification a été enregistré à l’Assemblée mais, à ma connaissance, n’a pas encore été voté. Sans loi de ratification, l’ordonnance 315* sur les avoirs pourrait déjà être critiquée devant le juge administratif. »

Ordonnance contraire à la directive : « nous le savions dès le départ »

Mais, quoi qu’il arrive, le cadre européen des packages prime sur celui prévu pour la mise en place des avoirs de 18 mois : « Même une fois ratifiée, l’ordonnance sera toujours contraire à l’article 12 de la Directive sur les voyages à forfait, repris par l’article L.211-14 du Code du tourisme**. Mais cela, nous le savions dès le départ : l’ordonnance a été prise en dépit de ces textes pour donner une bouffée d’oxygène aux entreprises du secteur. »

Quelles conséquences ? « Donc, le risque existe d’une procédure par l’UE contre les Etats qui ont ainsi protégé les entreprises de tourisme tandis qu’une question préjudicielle pourrait également être posée par un tribunal français à la Cour européenne de Justice, dans le cadre d’un litige, à propos de l’avoir imposé au client qui serait contesté. »

Les EdV vigilantes

Nous avons auusi interrogé Jean-Pierre Mas, président des Entreprises du Voyage. « Nous sommes vigilants, explique-til. Le gouvernement dispose de deux mois pour répondre à la commission. Les avoirs ont permis d’éviter la chute de nombreuses entreprises avec des conséquences fortes pour les clients et l’APST. » Jean-Pierre Mas explique aussi que le syndicat travaille depuis trois semaines à la mise en place d’une commission sur les avoirs. Cette commission vise à rembourser des clients en situation « d’extrême fragilité » avant les 18 mois prévus par l’ordonnance du 25 mars, a expliqué Valérie Boned, secrétaire générale des EdV, lors d’une récente visioconférence organisée avec les adhérents. Elle réunit les EdV, le Syndicat des entreprises du tour-operating (Seto) et deux associations de consommateurs. Sa mise a place avait été évoquée avec les pouvoirs publics dès les prémisses du projet d’ordonnance.

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Ce que reproche la Commission européenne

Bruxelles a envoyé une lettre de mise en demeure à la France, mais aussi à la République tchèque, Chypre, la Grèce, la France, l’Italie, la Croatie, la Lituanie, la Pologne, le Portugal et la Slovaquie. Pour la Commission européenne, ces dix États membres « enfreignent l’article 12, paragraphe 4, de la directive (UE) 2015/2302, la directive sur les voyages à forfait ». « Tout au long de cette crise, la Commission a toujours clairement indiqué que les droits des consommateurs restent valables dans le contexte actuel sans précédent et que les mesures nationales de soutien à l’industrie ne doivent pas les diminuer », ajoute-t-elle. Autrement dit, c’est toujours au consommateur de décider, entre l’option du remboursement et celle de l’avoir : « En vertu de la législation européenne, les passagers ont (…) le droit de choisir entre le remboursement en espèces et d’autres formes de remboursement, comme un bon d’échange, poursuit Bruxelles. Les États membres concernés ont maintenant deux mois pour répondre à la Commission et prendre les mesures nécessaires pour remédier aux lacunes identifiées par la Commission. Dans le cas contraire, la Commission peut décider d’envoyer des avis motivés. »

*Ordonnance n° 2020-315 du 25 mars 2020 relative aux conditions financières de résolution de certains contrats de voyages touristiques et de séjours en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables ou de force majeure (prise en application de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19).

** L’article 12 de la Directive sur les voyages à forfait prévoit le remboursement sans frais sous 14 jours en cas d’annulation causée par des Circonstances exceptionnelles et inévitables (CEI).

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3 commentaires
  1. Jean-Pierre Mas dit

    Françoise,
    La mise en oeuvre des avoirs liés à l’ordonnance du 25 mars demande en effet du temps, mais rien ne vous oblige à appliquer cette ordonnance. Vous pouvez tout simplement rembourser vos clients dont le voyage ne peut pas être réalisé du fait du Covid.

  2. Didier CALAS dit

    Est ce que Bruxelles a envoyé la même mise en demeure aux compagnies aériennes ? Je ne le pense pas, car il n’ y a pas eu de mesures contestables prises par les compagnies, et ces dernières continuent à produire des avoirs en tout tranquilité….Moralité, faut faire les coups en douce….Belle leçon donnée par cette Europe technocrate.
    Ne nous étonnons pas de l’Europhobie ambiante.

  3. Françoise Bukhari dit

    Force est de constater aujourd’hui que les EDV, le SETO et l’APST ont bien occupé les agences avec l’embroglio de l’ordonnance (le personnel en chômage partiel a été bien occupé … et le gouvernement commence d’ailleurs les contrôles …) et les agences risquent fort d’avoir à détricoter tout ce qu’elles ont fait depuis fin mars 2020 !!! Qu’en pensez-vous Monsieur Mas, Monsieur Chikli et Madame Philipon ?

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