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Nicolas Bouzou : L’économiste emballé

Essayiste, économiste et fondateur du cabinet Asterès, Nicolas Bouzou se tient à l'écart des querelles de chapelles pour délivrer sa vision sur les grandes mutations de notre époque, tout en respectant le pluralisme de la pensée économique. Libéral décomplexé, volontiers provocateur, il a le verbe prolixe de ceux qui se savent sur le droit chemin et ont foi

L'Écho touristique : Dans le débat public, beaucoup d'économistes interviennent en émettant des diagnostics parfois différents. Quitte à entretenir l'anxiété des Français…
Nicolas Bouzou : C'est en effet ce que l'on peut percevoir depuis la crise, pourtant 80 % des économistes sont d'accord sur l'essentiel. Globalement, on sait très bien ce qu'il faut faire pour réformer le marché du travail, de la même façon que l'on sait comment agir dans le domaine du logement ou de la réforme de l'État, mais on ne le fait pas. C'est un peu le drame français d'ailleurs. Bien sûr, il y a une contre-culture avec les « économistes atterrés » par exemple, et c'est tout à fait légitime car dans tous les domaines on a besoin de visions divergentes, mais celles-ci restent marginales.

Les Français n'aiment plus l'avenir selon vous, mais ils semblent aussi ne pas vouloir regarder autour d'eux, sont-ils trop autocentrés ?
Ce n'est pas que les Français, pour être tout à fait honnête. Les États-Unis connaissent en ce moment un renfermement extrêmement fort par crainte de l'avenir. Il faut bien comprendre que l'on est à un point très particulier de l'histoire mondiale avec la conjonction à la fois d'innovations et de changements technologiques très importants, comme vous le voyez dans le tourisme avec les Airbnb et consorts, avatars des nouvelles technologies qui transforment tout un secteur d'activité. À la fois on crée des emplois mais aussi on en détruit, donc ça génère de l'anxiété. C'est le premier point. Ensuite, la mondialisation. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, vous avez un changement technico-économique qui concerne le monde entier. Donc nous avons un phénomène de « destruction créatrice », comme le nomment les économistes, pour signifier que ce n'est pas une crise mais une transformation de l'économie.%%HORSTEXTE:1%%

Selon vous, la véritable révolution que nous sommes en train de vivre repose sur le développement des NBIC, c'est-à-dire l'intelligence artificielle ?
La montée en puissance des NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, information et sciences cognitives) va être un véritable choc et les gens vont se sentir totalement dépassés ! Concrètement, c'est Airbnb qui change le secteur de l'hébergement touristique, c'est la voiture sans chauffeur qui va mettre fin au secteur des auto-écoles, c'est la ville intelligente où on recycle énormément, l'hôpital sans lits qui deviendra un lieu où il n'y aura plus que des blocs opératoires… Tout cela va avoir des conséquences techniques et économiques, mais aussi sociales et sociétales. Comme l'a très bien montré Marx au XIXe siècle, quand vous avez des grands changements de ce type, vous avez des changements dans les rapports de production.

Vous parlez de « destruction créatrice », mais en termes d'emplois, on ne s'y retrouvera pas ?
La révolution des NBIC mène à ce que j'appelle le travail autonome, avec une gestion par projets, du télétravail… Cela scinde la société en deux avec d'un côté ceux qui sont très à l'aise avec l'autonomie, l'adaptabilité, et d'autre part ceux qui ont peur de voir disparaître leur métier. Je pense que l'on va davantage créer que détruire. Le potentiel d'emplois est illimité mais ce sont des nouveaux emplois, donc cela peut être déstabilisant pour pas mal de monde.

Avec une perte de repères à la clé ?
En France, nous sommes très attachés à notre passé. C'est une passion entretenue par la sphère intellectuelle, un peu trop dominée par le « c'était mieux avant », alors que la question est « comment faire pour que ce soit mieux après ? ». Sur cette question, je suis plus proche de Luc Ferry ou de Laurent Alexandre que d'Alain Finkielkraut ou Michel Onfray. La vraie question que l'on doit se poser c'est comment faire pour que l'avenir soit mieux. En plus, ce discours du « c'était mieux avant » est faux, comme le prouvent les statistiques. En matière de santé, de revenus, de niveau de vie, d'habitat, de sécurité, on peut tout passer en revue, je vous assure que c'était moins bien avant !

Comment s'explique qu'historiquement le tourisme n'est pas un secteur économique considéré en France ?
Il y a deux raisons. La première c'est que la France a toujours délaissé les secteurs de services. Cela remonte au XIXe siècle et à cette mentalité positiviste et industrieuse des élites. Le tourisme n'a donc jamais été considéré comme étant l'équivalent de l'industrie. Deuxièmement, il y a une assimilation du tourisme au tourisme de masse. Du coup, dans une société anxieuse, qui a parfois des tentations de décroissance, on se dit que tous ces gens qui viennent chez nous pourraient abîmer notre littoral, jeter des papiers gras dans nos châteaux, etc., et qu'il faut mieux s'en protéger. Je pense donc que la balle est dans le camp des acteurs du tourisme. Il faut vraiment montrer, d'une part que c'est un secteur qui crée de la valeur ajoutée, de l'emploi, etc. ; d'autre part, que le tourisme est en train de changer. Le destin de la France, c'est de développer un tourisme à forte valeur ajoutée, ce que l'on peut aisément faire avec tous nos atouts. Le cycle précédent, celui des Trente Glorieuses, était un cycle de consommation de masse – dans le tourisme comme ailleurs – et le cycle qui s'ouvre est beaucoup plus qualitatif. On pourra dire aux gens « on va vous demander un petit plus d'argent pour un séjour ou bien vous partirez peut-être deux jours de moins, mais en revanche, ce séjour vous apportera beaucoup plus de valeur ajoutée. »

On vante systématiquement la non-délocalisation des emplois touristiques. Est-ce un bon argument ?
Je suis toujours très agacé de cette notion d'emplois non-délocalisables car ça ne veut pas dire grand-chose. Les délocalisations expliquent seulement 10 % des pertes d'emplois et il y a des emplois non-délocalisables qui peuvent disparaître. La vérité c'est que dans le secteur du tourisme vous avez eu la conjonction de la crise de 2008 et en même temps la « destruction créatrice ». Airbnb offre une capacité d'attractivité supplémentaire pour la France. À Paris, nous sommes en sous-capacité hôtelière et Airbnb n'a pas pénalisé le secteur de l'hôtellerie. Ce phénomène d'ubérisation de l'économie ne frappe essentiellement que les segments à moyenne valeur ajoutée. Dans l'hôtellerie, cela concerne les hôtels de province qui avaient un rapport qualité/prix insuffisamment bons. Comme les taxis. Ce qu'on appelle l'économie du partage, c'est un sous-ensemble des NBIC. Ce sont des entreprises technologiques avant tout.

Ubérisation, économie du partage, etc., de nouvelles expressions que vous intégrez en tant qu'économiste ?
Je suis extrêmement critique sur les termes « économie du partage ou économie collaborative ». C'est du marketing bisounours ! Je suis d'ailleurs en désaccord avec Jeremy Rifkin (économiste américain, Ndlr) qui nous dit que ce mouvement nous fait rentrer dans le post-capitalisme. C'est très exactement l'inverse ! UberPop ou Airbnb qu'est ce que c'est : vous détenez un actif (une voiture, un appartement) et au lieu de l'utiliser uniquement pour votre consommation personnelle, vous le louez. C'est vraiment le capital selon Marx, la valorisation au maximum d'un bien. Ça n'a rien de collaboratif, c'est au contraire le stade supérieur du capitalisme ! Il ne faut donc pas s'étonner que des entreprises comme Airbnb et consorts veulent gagner de l'argent ou fasse de l'optimisation fiscale, comme toutes les grandes entreprises du monde.

Peut-on dire que les classes moyennes échappent de plus en plus au marché du tourisme et que ce dernier se concentre sur les offres entrée de gamme et de luxe ?
Oui, toutes ces évolutions de fond scindent la société en deux. C'est toujours comme cela lors des grandes périodes de mutation, après les choses rentrent dans l'ordre. Une partie de la population arrive à bénéficier des changements et une autre a des difficultés à se raccrocher à ces mutations. C'est la raison de fond qui explique qu'on a le développement d'un marché haut de gamme et celui d'un marché entrée de gamme. Ce n'est pas un artefact ou une mode marketing mais une évolution de fond dans la répartition des revenus. L'argument d'un Michael O'Leary, c'est « j'ai permis à plein de gens modestes de partir en vacances ». C'est un argument qu'il faut entendre, même si Ryana

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